dimanche 23 juin 2013

L'Euthanasie au Québec : considérations historiques et morales.

On parle, au Québec, de légaliser l'euthanasie.  Tous pensent aux bienfaits, mais personne ne songe aux abus qui arrivent fatalement lorsque un État autorise le meurtre médicalisé pour reprendre la terminologie du Professeur Robert Jay Lifton.  Voici donc mon opinion sur le sujet, basée sur mes connaissances d'historienne de la Deuxième Guerre mondiale, et pourquoi je suis contre et pourquoi je crois que les médecins devraient aussi l'être. 


L’euthanasie – ou suicide assisté pour employer un euphémisme – est un des sujets populaire au Québec depuis quelques jours.
Néanmoins, je tenais à vous présenter un aspect, hélas, qui fut très peu abordé, et globalement, peu considéré dans les débats sur l’euthanasie, mais qui demeure, selon moi, très important – voire primordial.  Et j’ai confiance en vous, chers lecteurs, pour prendre la juste mesure de mes propos, et pour savoir analyser cette « goutte d’eau » que j’ose ajouter bien humblement dans la mer de ce débat.
Tout d’abord, issue d’une famille aux idées en général libérales et sans préjugés, j’avais toujours été, naguères, en faveur de l’euthanasie, considérant qu’il était important que les gens très malades et compromis par la dégénérescence, puissent gagner la liberté et le libre-arbitre qu’ils ont perdu dans ce monde-ci. 
Mais en 2002, j’ai changé d’opinion sur le sujet.  Titulaire de diplômes universitaire en Histoire depuis 1999, c’est il y a huit ans que j’ai fait une spécialisation sur les événements entourant la Seconde Guerre mondiale – et plus précisément sur l’idéologie inhérente au Nazisme, que l’on pourrait résumer en affirmant qu’elle ne fut pas autre chose que l’application pratique d’idées théoriques eugénistes et sociales-darwinistes qui étaient très répandues parmi la haute-bourgeoisie et la communauté scientifique européenne vers la fin du XIXe – début XXe siècle.
 
Dans la foulée de mes pérégrinations littéraires sur le sujet de l’euthanasie – lectures qui, je le précise, sont en accord avec la méthodologie scientifique de l’historiographie universitaire internationale – deux ouvrages ont retenus mon attention: Robert Jay Lifton The Nazi Doctors: Medical Killing and the Psychology of Genocide ainsi que P. Weindling Hygiène raciale et eugénisme médical en Allemagne, 1870-193.  Au terme de ces lectures, l’humanste convaincue en moi refusait de cautionner plus longtemps cette pratique qu’est l’euthanasie.  Je vous expliquerai pourquoi, mais tout d’abord, histoire de vous mettre  en contexte, permettez-moi de vous amener dans un bref voyage dans le temps, à 6000 km d’ici :
 
Transportons-nous donc  dans la campagne allemande, dans la province de Saxe, à 5 km du petit faubourg de Pommsen, non loin de la ville de Leipzig, en mars 1939.
Dans leur petite chaumière reculée, Frau et Herr Kressler sont heureux.
Heureux non pas parce que le gouvernement Nazi, nommé au pouvoir depuis six ans, a favorisé la reprise économique ; ni même parce qu’ils viennent de s’épouser.  Non.
Ils sont heureux parce que Kristina, enceinte, est à veille d’enfanter, et le couple est heureux d’évoquer avec fierté le futur de leur enfant à naître, qu’ils imaginent grandiose : tantôt chercheur à l’université de Leipzig ; tantôt membre de l’État Major des forces armées allemandes et Reichsmarshall (rappelons que l’Allemagne a toujours été un pays très militarisé : hommes femmes et enfants faisaient, en général, partis d’un groupe militaire ou paramilitaire) et aux yeux de leur entourage, ils pourraient se targuer d’être de merveilleux parents !...  Quelle bénédiction ! pensaient-ils.
 
Toutefois, les festivités furent hélas de bien brève durée, et le désarroi remplaça rapidement une joie hélas que trop éphémère : Bébé Kressler naquit aveugle et muni d’un seul bras et d’une seule jambe mal formée.  Et comme si cela n’était point suffisant pour les nouveaux parents éplorés, leur enfant était sévèrement retardé.
Pour les Kressler, pauvres fermiers désemparés, le destin leur amenait un bien trop lourd et intempestif fardeau pour leurs simples épaules… 
 
Sur les conseils de son frère qui connaissait les opinions de Hitler sur le sujet, Frau Kresseler, la mort dans l’âme, prit sa plume et son encrier et écrivit sans plus tarder au chef d’État, le Führer lui-même, pour le supplier d’accorder la gnadentod ou « mort par compassion » à son enfant, reconnaissant avec horreur être incapable de s’en occuper.
Mais le nouveau Chancelier, nommé en 1933, a tant de choses à pourvoir, que la dame, en postant la lettre adressée au 4 de la rue Tiergarten, au centre-ville de Berlin, n’osait même penser que sa missive désespérée puisse atteindre les mains propres du destinataire, puisque ce dernier avait sans doute mieux à faire que de se pencher sur les problèmes de citoyens anonymes et sans fortune du fond d’un Landrat du sud-est de l’Allemagne.
 
Mais, quelques semaines plus tard, par un bel après-midi, Frau Kressler, incrédule, vit s’avancer au loin sur ses terres, une rutilante Mercedes noire arborant le pavillon gouvernemental, le « drapeau du sang » (Blutsfahne), qui  prenait la direction de sa demeure.  Aussitôt courut-elle prévenir Hans, son époux, qui travaillait à la scierie à quelques mètres de là.  Tous deux retournèrent prestement à la maison – suffisamment pour voir un homme de plus d’un mètre quatre-vingt-quinze, jeune, bien mis et en vêtu de l’uniforme de la SS, sortir de la voiture et venir vers eux, un sourire compatissant et affable sur les lèvres.
Ce dernier se présenta : Dr Karl Brandt, médecin personnel de Hitler, chef du système de santé du IIIe Reich, et Commissaire à la Santé du Reich.  En dépit des craintes de Frau Kressler, Hitler avait bel et bien lu lui-même la lettre, et tel que requis, il acceptait d’accorder la Gnadentod au Lebenswerten  (c'est-à-dire « vie inutiles » tel que le Reich nommait les invalides) que représentait son nouveau né.
 
Le docteur Brandt prit le landau, salua les parents en pleurs après les avoir assuré qu’ils faisaient la bonne chose pour le pays, et il s’engouffra dans sa berline, en les assurant que leur fils ne souffrirait pas.
Nul ne sait exactement où a été euthanasié bébé Kressler, mais on peut se douter qu’il le fut dans un hôpital psychiatrique près de Berlin, tels Hadamar, Brandenburg, Grafenek, Sonnenstein ou Hartheim, puis incinéré quelque part dans un lieu tenu secret par les Nazis.
 
Certes, cette histoire peut sembler être un « fait divers »…  Toutefois – et bien malgré lui – Bébé Kressler fut le point de départ d’un programme d’État structuré qui d’euthanasie, qui débuta après que Hitler personnellement eut signé un décret qui cautionnait officiellement cette pratique, nommée « Aktion T4 »(le quartier général de ce programme était la Chancellerie du Reich, située au 4 de la rue Tiergarten, de là son nom).  On peut retrouver un facsimilé de celui-ci assez facilement sur l’internet.
Si au départ, cette « Aktion » n’a concernée que les nouveaux nés, elle fut assez tôt appliquée aux enfants, puis fut étendue aux adultes.  Cette variante de T4 était nommée « Aktion 14f13 »
 
L’Action T4 était inhérente à l’idéologie Nazie, empreinte, d’une part, de cette pseudoscience qu’était l’eugénisme, un postulat très en vogue parmi les intellectuels, les politiciens et les classes bourgeoises à la fin du XIXè siècle et début XXè ; d’autre part, elle était également empreinte de social-darwinisme, pour lequel le plus fort doit triompher sur le plus faible – les plus « faibles » étant d’ailleurs précisément les « Lebenswerten » que représentaient les enfants et adultes handicapés.  D’ailleurs, les principaux protagonistes de la « science des gènes » étaient en majorité Allemands : Alfred Plötz, Stewart Chamberlain (d’origine anglaise, mais néanmoins Allemand et gendre de Richard Wagner et beau-frère de Liszt), H. von Treitschke, K. Lorenz, et même le docteur Aloïs Alzheimer, pour n’en nommer que quelques uns; les plus célèbres et connus.
 
Ainsi, pour les Nazis, l’État ne devait pas dépenser pour ces « vies inutiles » qui coûtaient cher de soins, mais ne rapportaient rien à la société, tandis que de valeureux soldats sur le Front avaient tout juste de quoi se nourrir.  Les conséquences économiques de la crise de 1929 pesaient encore lourdement sur la Nation qui tardait à se relever, tandis que ses dirigeants préparaient déjà ce qui allait bientôt devenir une guerre mondiale.  Cette guerre serait coûteuse : il fallait économiser.  Et surtout, cette guerre allait être sanglante : il fallait aussi libérer des hôpitaux psychiatriques pour en faire des hôpitaux militaires.  Et à cette fin, l’euthanasie était une solution acceptable pour un système politique basé sur le darwinisme social et l’eugénisme.
 
Toutefois, rapidement, il y eut des protestations au sein de la population et Hitler dû reculer… Du moins, est-ce ce qu’il affirma à ses concitoyens.  Mais en coulisses, les opérations de mort se poursuivirent, et même, elles redoublèrent d’efforts.  L’euthanasie des adultes et des personnes âgées reçut même son propre nom pour la départager de l’Aktion T4 : l’Aktion 14f13.
 
D’ailleurs, pour la petite histoire culturelle – mais en m’éloignant légèrement de notre propos premier - ce programme d’euthanasie fut le point de départ de l’holocauste, puisqu’il fut supervisé, évalué, élaboré et pratiqué par des MÉDECINS qui prirent l’Aktion 14f13 comme un banc d’essai puisque ceux-ci, sur les ordres de Himmler, chef de la SS, recherchaient en même temps un moyen rapide de tuer en masse, à grande échelle.   Les injections de surdoses de morphine pour tuer chaque patient prenaient trop de temps et de plus, à l’heure où la Grande-Bretagne, reine des mers, opérait un blocus important sur les importations d’Amérique du Sud, la morphine était une denrée rare qui devait n’être donnée qu’aux soldats blessés, et non « gaspillée », selon la logique nazie, pour tuer des êtres « vides » comme le disaient ceux-ci.
(spécifions au passage, que pour remédier à ça, le Feld-maréchal Hermann Göring, bras droit de Hitler, ordonna aux usines de la IG Farben de Dessauer de mener des recherches visant à synthétiser la morphine, c'est-à-dire en produire sans l’ingrédient naturel de base qu’est opium, donc une morphine artificielle.  Ce fut ainsi que la Méthadone fut inventée vers 1943 – médicament dont Göring devint rapidement dépendant.  Ce sont les Alliés, à Nuremberg, qui le désintoxiquèrent pour le procès qui s’ouvrit en octobre 1945).

Donc, pour revenir à notre sujet principal, ce sont pour les raisons évoquées ci- haut que les dirigeants de T4, les docteurs Karl Brandt et Philip Bühler, décidèrent de tuer les patients grâce à de puissants moteurs – issus des usines Bayeurisch Motoren Werke, c'est-à-dire les Usines de Moteurs de Bavière dont nous connaissons bien l’acronyme allemand encore aujourd’hui : BMW – qui produisaient le CO2 mortel.  Quelques années plus tard, on remplaça le CO2 par le Zyklon de type B (il s’agissait simplement d’un concentré de l’élément actif composé du même Chlore que nous mettons dans nos piscines de façon quotidienne en été, mais environ 1000 fois plus concentré) dans les camps d’exterminations nazis qui firent six millions de victimes, dont Auschwitz demeure le plus célèbre.
 
Toujours est-il qu’à la lumière du programme d’euthanasie, qui  fit des centaines de milliers de victimes à travers toute l’Allemagne (et les autres nations qu’elle occupa entre 1939 et 1945), les trois quart n’étaient pas gravement hypothéquées, mais on avait besoin des ressources qu’elles consommaient et de la place qu’elles prenaient.
 
Le Troisième Reich, régime particulier s’il en est un, intéresse encore les spécialistes des diverses sciences humaines : sociologie anthropologies, médecins, etc. Mais parmi ceux-ci, c’est le volet concernant la psychologie qui a probablement donnée, aux professionnels, un laboratoire absolument exceptionnel pour étudier, après guerre, ce qu’avaient été les comportements humains sociaux ou collectif de toutes envergures ; d’individus mis dans un système social où étaient pratiquement inexistants tout paramètre moral ou éthique – un système précisément bâti d’après le social-darwinisme.  Pour des raisons évidentes, ces paramètres ne peuvent être reproduits en laboratoire sans que le chercheur concerné ne fusse rappelé à l’ordre par le comité d’éthique de l’institution universitaire.
 
Cela étant – et c’est ce qui concerne ici notre propos – l’Allemagne devenait le premier pays occidental depuis le début de la civilisation, non seulement à tolérer l’homicide, mais de surcroît à abolir toutes conséquences légales pour qui s’en rendrait coupable. 
 
De nos jours, on peut certes être scandalisé lorsqu’on entend parler des excès nazis, mais néanmoins, selon moi, nous faisons fausse route lorsque nous tentons d'occulter notre passé animal, avant que nous ne devenions des Hommes.  Car nous oublions qu’en nous, demeure l’instinct qui nous permettait de survivre tandis que la Nature plaçait sur notre chemin de biens dures épreuves, et ce, au dépend d’autres individus plus faibles.  Car il faut se rappeler que ces grands singes que nous étions n’avaient aucun scrupule à tuer son prochain si cela pouvait lui permettre de survivre et manger.
 
Certes, depuis, nous avons fait depuis de grands efforts de civilisation, en instituant dès le Moyen-âge un système juridique qui a très peu changé depuis que l’Eglise romaine catholique lui a donné sa forme « avocat-jury-juge » au moment de l’inquisition..  C’est ce système juridique – et d’une certaine façon la peur qu’il inspire – qui « tient au bout de ses bras » ce que nous appelons notre morale.  On l’a bien vu avec le Nazisme, hélas, dès que l’être humain devient certain de ne pas perdre sa liberté ou même sa vie pour le meurtre de ce qu’il considère des « êtres nuisibles » à son bonheur quels qu’ils soient, monsieur et madame Tout-Le-Monde peut potentiellement se transformer en tueur sanguinaire – on a pu s’en rendre compte une fois de plus en 2010, tandis que les Nouvelles nous présentaient des soldats Américains qui ont tué des civiles Afghan « pour le plaisir ». 
La lecture de Raul Hilberg La destruction des Juifs d’Europe, (2 volumes) ; celle de Daniel Jonah Goldhagen  Les bourreaux volontaires de Hitler ; et enfin celle des œuvres de Christian Bernadac  concernant la vie quotidienne des détenus dans les camps de concentration (voir la bibliographie à la fin de cette lettre), nous en convainc aussi rapidement.
 
Probablement, chers lecteurs, commencez-vous  à voir où je veux en venir sur la question de l’euthanasie qui nous occupe.
 
Bien sûr, l’objectif est en théorie de permettre à ceux qui sont lourdement hypothéqués de quitter ce monde en paix et en sécurité..  Et sur celui-ci, je suis en accord total avec ses partisans, tout comme je l’ai toujours été depuis ma plus tendre enfance (j’ai 38 ans). 
Toutefois, je ne peux m’empêcher de penser que l’être humain étant ce qu’il est, c'est-à-dire un être pourvu par la Nature de l’instinct de survie qui joue un rôle social en nous poussant à améliorer sans cesse notre sort –  parfois aux dépends de nos compatriotes terrestres, tel que nous le démontre chaque matin votre journal dans les faits divers – l’euthanasie n’est-il pas dangereux et propice à d’éventuels abus ?…
 
Le Nazisme l’a bien démontré, et je me permets de le répéter : les barrières morales peuvent tomber facilement dès que la société abolit les conséquences d’ordre légales et juridiques. 
 
Un exemple d’abus dénoncé à l’émission J.E au printemps dernier, concernait les repas dans certains CHSLD qui ne dépassent pas 0,78$ par repas par personne.  Un simple geste de « coupe » budgétaire, allez-vous me dire ?...  Certes, probablement, vous répondrais-je.  Toutefois, si nous prenions le temps de réfléchir quelques minutes au raisonnement qui a conduit les responsables à faire ce calcul, c'est-à-dire accepter de nourrir un peu moins des personnes moins actives, et en général un peu plus impotentes, nous verrions clairement qu’il ne peut s’agir d’autre chose qu’un raisonnement ayant un certains « parfums » de social-darwinisme – qu’il soit ou non conscient.
 
Je ne suis pas certaine qu’on aurait agi de la sorte dans des écoles ou même dans des prisons – tel que le mentionnaient d’ailleurs les animateurs de la dite émission.  Pourquoi ?  Tout simplement parce qu’un jour ou l’autre, enfants et détenus finiront bien par respectivement commencer ou recommencer à participer à la vie commune et économique de la société.  
Tandis que des personnes âgées… 
Alors à quoi bon leur affecter un budget de nourriture si important, se sont probablement dits les administrateurs... 
Certes, l’exemple ci-haut ne concerne pas l’euthanasie en tant que telle, mais selon moi, il découle néanmoins de la même philosophie, c'est-à-dire la commission d’un abus  -- qui aura des conséquences  beaucoup plus graves dans ce cas-là puisqu’il s’agira alors d’ôter la vie à quelqu’un.
Il est toujours possible de nourrir mieux quelqu’un.  Mais il est plus difficile de le ressusciter, ne croyez-vous pas que cela donne à réfléchir?
 
Ma mère, il y a un peu plus de huit ans maintenant, a dû faire des démarches en vue de placer sa tante (maintenant décédée depuis 5 ans) dans l’un de ces CHSLD à Montréal.  Sur place, les dirigeants ne lui ont aucunement fait mystère du fait qu’il leur fallait attendre qu’une autre personne décède pour être en mesure d’accueillir ma grand-tante…  Nos CHSLD débordent ; les infirmières sont en nombre insuffisants ; on manque de budget…  Et nous ne sommes pas encore rendus au moment où les baby-boomers, ces enfants nés après 1945, devront se résigner à quitter leurs demeures.  Cela engorgera un système qui craque déjà, et rien ne n’indique que le gouvernement y fera quelque chose. 
Que fera-t-on des personnes en trop ? 
De ces personnes seules au monde dont personne ne se soucient ? 
De ces  personnes pour qui nul n’ira faire ouvrir une enquête si un médecin lui injecte « par une horrible mégarde » (!!!) une dose trop élevée  de morphine ? 
Que fera-t-on lorsqu’une personne fortunée voudra une chambre particulière dans un Centre, occupée jusque là précisément par quelqu’un ayant des revenus plus modestes ?  Qui aura la préférence des autorités administratives de ces centres – surtout si la personne fortunée en question a déjà participé au système public avec les fameux PPP ?  Que fera-t-on de l’autre personne ?...Si je songe aux repas à soixante-dix-huit sous, j’avoue que la réponse me fait peur. 
Et vous ??
 
Jusqu’ici peut être êtes-vous d’accord avec moi, mais peut être aussi me rétorquerez-vous que oui, des abus de ce genre peuvent éventuellement avoir lieu, mais que ceux-ci ne constitueront jamais une menace pour la vie de ces personnes, puisque nos médecins, contrairement à leurs collègues Nazis d’antan, ont une conscience professionnelle, morale et éthique plus élevée, et cela étant, ils n’utiliseront jamais l’euthanasie à mauvaise escient…
 
Cependant, je vous renchérirais ceci : nos médecins sont des êtres humains, et de ce fait, une génération à part, ils ne sont pas très différents de leur prédécesseurs Allemands qui ont facilement troqué leur serment à Hippocrate pour le remplacer par un serment à Hitler, à Munich dès janvier 1933, emportés qu’ils étaient -- tout comme leurs concitoyens – par la vigueur de la propagande National-socialiste.  Ils ont été conquis par une idéologie dont ils auraient dû être les premiers à détecter l’hystérie et l’imposture, vu leur formation de scientifiques, basée sur l’objectivité.
Mais contre toute attente, comme le spécifiait Lifton dans sa monographie, 40% des médecins allemand ont pris leur carte du Parti de Hitler, faisant d’eux le corps professionnel dont l’adhésion au Nazisme a été le plus élevé.  Ce qui est énorme vous en conviendrez ave moi !
Et comme si cela n’était pas suffisant, parmi ceux-ci, huit médecins sur dix avaient dans leur garde-robe le funeste et criminel uniforme de la terrible SS, dont plusieurs membres se sont livrés à des expériences aussi sauvages qu’inutiles sur les détenus des camps de concentration, dont je vous épargne les horreurs.  Les disciples d’Hippocrate allemands se retrouvés sciemment au cœur des politiques d’extermination de masse à tous les niveaux en étant les principaux architectes et concepteurs de celles-ci.  Ce sont eux qui ont mis en place ces meurtres gratuits à l’aide des camions dont le gaz d’échappement, en roulant, entrait dans la boîte où s’entassaient des dizaines de personnes ; que lors des expérimentations de tueries à l’aide d’explosifs dans des forêts de Pologne (méthode qu’ils ont vite abandonnée après avoir été obligés de récupérer les restes humains pris dans les arbres après la déflagration),  ou dans les Camps de concentration avec les injections d’essence dans le cœur des victimes ou le Zyklon B.
Tel que l’a fait remarquer Lifton, sans eux, Hitler n’aurait jamais pu faire massacrer plus de 10 millions de personnes !
 
Donc, c’est parce qu’ils sont des êtres humains – c'est-à-dire des êtres pourvus d’idéologies, de croyances, de sentiments – que les médecins ont approuvé l’idéologie Nazie en s’y compromettant en tant qu’individus, mais plus grave encore, en tant que professionnels.  Et comme l’Homme est ce qu’il est, avec ses forces et ses faiblesses, il me surprendrait beaucoup que nos médecins puissent demeurer tout à fait objectifs et professionnels face à l’euthanasie ici, au Québec, en 2010.  Car comme les médecins de Hitler, les nôtres sont aussi pourvus d’une humanité qui les rend vulnérables à l’irrationnel – ennemi s’il en est un, de la raison et frère de la passion…  Et cela étant, ils pourraient privilégier certains patients au dépend d’autres moins bien nantis économiquement, mentalement ou physiquement…  Et ce n’est qu’un exemple parmi bien d’autres.
 
Le docteur Karl Gebhardt – qui cumulait les fonctions de chef du service de santé et de chef de la Croix-Rouge Allemande ; de chef du département de santé de la SS ; et enfin de chef orthopédiste, s’était rendu coupable d’expériences médicales sauvages sur les détenus des camps de concentration, et à cause de cela, il fut arrêté peu avant la fin de la guerre à Hohenlychen.  Traduit en justice par les Alliés au deuxième Procès de Nuremberg (1946-1948, nom officiel : « Dr Karl Gehbardt vs US et al. ») et il y a fait une déclaration qu’il serait bénéfique pour l’humanité de se souvenir – dans le cadre de l’euthanasie, bien sûr, mais aussi dans le contexte de nos avancées biologiques et médicales que nous offre le XXIe siècle, tels que l’ADN, les bébés éprouvettes et le clonage :
 
 Chaque principe fait parti d’un principe philosophique et chaque principe idéologique dépend de son temps, de la situation, et de l’échelle des valeurs dans laquelle vous l’incluez.  La question se pose de savoir quels sont les principes suprêmes où le médecin puise son activité morale. – Dr Karl Gebhardt
 
Et malheureusement, souvent, l’occasion fait le larron : autoriser l’euthanasie avec une situation économique et sociale aussi particulière que celle que nous connaissons actuellement, serait de courir à la catastrophe en ouvrant la porte à des abus qui, encore plus dangereux, finiraient par devenir « normaux » pour chacun d’entre nous…  Tout comme à une certaine époque, l’eugénisme et le social-darwinisme étaient devenus quelque chose de « bien banal » pour ses contemporains qui ne s’en inquiétaient pas trop – jusqu’à ce qu’un illuminé porté au pouvoir dans un pays occidental ne décide qu’il était temps de mettre ces théories en pratique.  Résultat : un génocide, un programme d’euthanasie, et environ 10 millions de victimes dans le cadre de ceux-ci.
Serons-nous obligés de nous rendre à cet extrême pour réaliser que notre morale est aussi fragile que l’est notre civilisation ?
 
J’espère seulement que les commissaires de la commission sur l’euthanasie sont conscients de cela, et que leur culture générale respective leur permet d’apprécier la valeur de l’expérience passée Nazie concernant l’euthanasie et la morale de la Nature humaine.  Le producteur de la BBC Lawrence Rees a produit dans les années 90 un documentaire en plusieurs parties qu’il a intitulé « The Nazis : A Warning From History », où il est question de T4, de 14f13 et de l’Aktion Reinhardt (nom de code pour la Shoah).  Je crois que le titre qu’il a donné à son œuvre dit tout : Un Avertissement de l’Histoire… À nous de voir si nous choisissons ou non de l’écouter.  Dans le cas contraire, méritons-nous encore notre qualificatif de « humains » ??
 
Sur ce, chers lecteurs, je vous laisse vaquer à vos certainement nombreuses occupations, en espérant que mon intervention ait pu vous ouvrir à une dimension que peu aujourd’hui connaissent – les protagonistes étant pour la plupart tous décédés, et l’histoire étant une matière, hélas, peu populaire dans notre société moderne qui se dit trop souvent « avant nous le déluge ! » et ne profite pas de l’expérience passée de leurs aïeux.  Pourtant, c’est cette dernière qui peut, seule, préserver la civilisation humaine contre elle-même, et faire en sorte que des innocents, qui n’ont commis pour seul crime que l’impotence, ne soient sacrifiés pour de mauvaises raisons.
Sans compter que ce n’est un secret pour personne que les médecins pratiquent déjà l’euthanasie de façon secrète – ainsi, mon oncle décédé en 1976 et mon grand-père, décédé en 1998 ont pu demander à leurs médecins de les aider à partir – ce que ces derniers ont accepté, prévoyant à la minute près le décès de leurs patients.  Donc, considérant cela, s’il y a déjà des abus alors que la loi interdit cette pratique, il paraît à peu près certain qu’il y en aura également si la loi l’autorise officiellement.  Alors pourquoi ne pas laisser les choses telles qu’elles sont en ce moment ?
 
Peu m’importe de ce que vous ferez de cet article, cependant, j’espère avoir atteint le seul objectif intrinsèque de celui-ci : amener à votre esprit ouvert et analytique de quoi alimenter votre réflexion sur un aspect qui ne doit pas vous avoir été apporté par beaucoup– tous étant occupé en ce moment à se laisser attendrir par les raisons sentimentales d’autoriser l’euthanasie.
 
En terminant, j’aurais certes pu vous fournir des références (monographie ou périodiques et numéro de page où on trouve l’information) pour chaque élément inhérent à l’Histoire, mais j’ai choisi de ne pas le faire, et ce afin de ne pas alourdir inutilement la lecture de ce texte.  J’ai préféré vous inclure à la fin de ce courriel le titre des livres concernés, sans les numéros de pages spécifiques.  Cependant, si vous le désirez, il me fera plaisir de vous fournir une bibliographie plus exhaustive.
 
Je vous souhaite une excellente journée et n’hésitez pas à me faire part de vos réflexions.
 
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE:
 
HILBERG, Raul., La destruction des juifs d’Europe, 2 vol
 
KERSHAW, Ian., Hitler 1889-1936 – Hubris
 
KERSHAW, Ian., Hitler 1936-1945 – Némésis
 
WEINDLING, Paul., Hygiène raciale et eugénisme médical en Allemagne, 1870-1932
 
HÖHNE, Heinz., L’Ordre Noire : la SS
 
TERNON, Dr yves et Socrate HELMANN, Histoire de la médecine SS ou le mythe du racisme biologique
 
KOGON, Eugen., L’État SS
 
AZIZ, Philip., Les médecins de la mort : Karl Brandt l’homme blanc du Reich, tome 1
 
AZIZ, Philip., Les médecins de la mort : Josef Mengele ou l’incarnation du mal’ tome 2
 
AZIZ, Philip., Les médecins de la mort : des cobbayes par millions, tome 3
 
AZIZ, Philip., Les médecins de la mort : au commencement était la race, tome 4
 
BERNADAC, Christian., Les 168 marches
 
BERNADAC, Christian Le Rouge-gorge
 
BERNADAC, Christian Les mannequins nus – Auschwitz I
 
BERNADAC, Christian Le camp des femmes – Ravensbrück
 
BERNADAC, Christian Le Neuvième Cercle – Mauthausen
 
BERNADAC, Christian Les médecins maudits
 
BERNADAC, Christian  Kommandos de femmes – Ravensbrück
 
BERNADAC, Christian Train 7909, destination Dachau
 
BERNADAC, Christian La libération des camps : le dernier jour de notre mort
 
ROVAN, Joseph., Survivre à Dachau, dans L’Histoire, 118, janvier 1989
 
AZÉMA, Jean-Pierre., les victimes du Nazisme, dans L’Histoire, 118, janvier 1989
 
DE BOUARD, Michel., Mauthausen, dans Revue d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale, Juillet-septembre 1954
 
TILLION, Claude., Réflexion sur l’étude de la déportation dans Revue d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale, Juillet-septembre 1954
 
WORMSEN, O., Le travail concentrationnaire dans l’économie de guerre allemand, dans Revue d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale, juillet-septembre 1954.